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Droit communautaire et "Fiscalisme français"

Deux décisions de la Cour de Justice des Communautés européenne viennent de modifier considérablement la fiscalité française des placements. Cette fiscalité pouvant être qualifiée de « fiscalisme à la française », c'est-à-dire une fiscalité excessive cherchant à dissuader par tout moyen la fuite de ses capitaux, a fini par être condamnée par la Cour de Justice des Communautés européennes.Datant du 4 mars 2004[1], l'une des décisions de la haute juridiction concerne le prélèvement forfaitaire libératoire (CGI, art. 125-0 A et 125 A). Jusqu'à maintenant, seules les obligations françaises pouvaient faire l'objet d'un prélèvement libératoire. Leur détenteur supportait une taxation de 26 % sur les revenus de ses titres, alors que les coupons des obligations étrangères étaient passibles de l'impôt sur le revenu. Aux yeux de la CJCE, ce régime est discriminatoire. Par conséquent, les clients fortunés pourront désormais souscrire des contrats dédiés conçus par des compagnies d'assurances européennes. Datant du 11 mars 2004[2], l'autre condamnation porte sur « l'exit tax » (CGI, art 167 bis) qui frappe depuis le 9 septembre 1998, tous les candidats à l'expatriation détenant des parts substantielles dans une société. Contraire au principe de liberté d'établissement au sein de l'Union européenne, cette taxe imposait les plus-values latentes sur les biens professionnels, en cas de transfert du domicile fiscal dans un pays de l'Union européenne.

Les décisions de la Cour étant présentées, il importe de rappeler la genèse du contentieux de chacune, pour ensuite concentrer cette étude sur l’incompatibilité des mesures françaises avec les libertés de circulation communautaires.

I/ La genèse des contentieux

A/ Des problèmes posés par les mesures fiscales françaises en cause…

S’agissant du prélèvement forfaitaire libératoire, il est important de rappeler ce qu’est précisément ce mécanisme. Il s’agit d’une imposition appliquée, souvent par voie de retenue à la source, à titre obligatoire ou facultatif et, dans ce dernier cas de plein droit ou sur option, à certaines catégories de revenus, en tant que substitut de l’imposition générale. Le système de la retenue à la source est une technique de recouvrement de l’impôt par laquelle le débiteur d’un revenu ou son mandataire (établissement payeur), déclaré redevable de l’impôt du par le bénéficiaire de ce revenu (le contribuable), est chargé de prélever et de verser au Trésor ledit impôt au moment même du versement dudit revenu. Ce procédé de prélèvement à la source, qui a pour effet de rendre l’assiette, la liquidation et le recouvrement de l’impôt quasi-simultanées, n’a jamais réussi à s’imposer sur une grande échelle en France, alors qu’il est couramment pratiqué dans de nombreux pays européens comme la Grande Bretagne et l’Allemagne. Les produits concernés sont les produits de placements à revenu fixe, c’est à dire des obligations, créances, dépôts, cautionnements, et comptes courants, mais aussi les contrats de capitalisation comme les contrats d’assurance vie. Son taux dépend de la nature des revenus ou de la durée pour les contrats de capitalisation, et peut varier de 7,5% à 60%. Les produits ayant régulièrement supportés le prélèvement sont libérés de l’impôt sur le revenu : c’est une excellente mesure de simplification et de commodité, mais elle peut être aussi très favorable et incitative. Le problème est que le dispositif français, aux articles 125-0 A et 125 A du Code général des impôts, exclue de manière absolue l’application du taux du prélèvement libératoire aux revenus découlant de placements et de contrats dont le débiteur n’est pas domicilié ou établi en France.

S’agissant de l’article 167 bis du Code général des impôts, le transfert du domicile fiscal hors de France entraîne l’imposition immédiate des plus-values constatées afférentes à des droits sociaux de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et ayant leur siège en France ou hors de France, lorsque le contribuable détient ou a détenu, directement ou indirectement, avec les membres de son groupe familial, plus de 25% des droits dans les bénéfices sociaux de ces sociétés à un moment quelconque de ces cinq dernières années, et sous réserve que le contribuable concerné ait été fiscalement domicilié en France pendant les dix dernières années. En d’autres termes, le contribuable sera réputé avoir cédé ses titres et sera imposé sur ses plus-values de sortie au taux de 26%. Les personnes assujetties sont les contribuables qui ont été fiscalement domiciliés en France au moins six ans au cours des dix dernières années précédant le transfert du domicile. Sont concernées, par ce dispositif, les plus-values latentes sur droits sociaux de sociétés passibles de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés, représentatifs d’une participation substantielle dépassant 25% des droits dans les bénéfices sociaux à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Ces droits sociaux s’entendent non seulement des parts ou actions de sociétés françaises mais également des titres de sociétés étrangères soumises à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés. Si le contribuable peut déduire des plus-values réalisées les moins-values réalisées l’année de son départ, les moins-values latentes et les plus-values latentes ne peuvent pas, en revanche, être compensées. Les plus-values sont déclarées à la date du départ hors de France, et l’impôt sur le revenu correspondant est alors mis en recouvrement, en même temps que la cotisation de l’impôt sur le revenu afférent aux revenus acquis par le contribuable au cours de l’année de transfert.

Contrairement à ce qui est la règle en matière de fiscalité directe des particuliers, ce texte a pour effet de rendre imposable des plus-values latentes ou non encore réalisées. La spécificité de ce dispositif est que le contribuable est taxé sur un revenu dont il ne dispose pas. L’imposition des revenus latents constitue alors, indirectement, une sanction. En effet, selon l’article 12 du Code général des impôts, « l’impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ». Le revenu imposable est donc le revenu disponible, et l’Administration entend par revenu disponible le revenu dont la perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire. On peut donc penser que le dispositif de l’article 167 bis du Code général des impôts, en taxant des plus-values non encore réalisées et non disponibles pour le contribuable, est contraire au principe selon lequel ne sont imposés que les revenus disponibles. Un éminent spécialiste[3] a estimé que l’exit tax n’est qu’un prolongement d’une disposition qui existait déjà en droit positif et selon laquelle celui qui se délocalise à l’étranger doit déclarer non seulement les revenus qu’il a acquis au cours de l’exercice, mais aussi les créances acquises, à savoir les revenus latents qu’il n’a pas encore encaissés. Il soutient que « l’exit tax s’inspire donc en matière de plus-values de ce qui existait déjà en matière de revenus »[4].

Le contribuable peut demander à bénéficier d’un sursis de paiement correspondant à des plus-values en vertu de l’article 167 bis II du Code général des impôts. Mais ce mécanisme est subordonné à certaines conditions. D’une part, le contribuable doit demander expressément à bénéficier du sursis et doit déclarer le montant de la plus-value constatée. D’autre part, le contribuable doit désigner un représentant établi en France et autorisé à recevoir les communications relatives à l’assiette, au recouvrement et au contentieux de l’impôt. Enfin, préalablement à son départ, le contribuable doit constituer, auprès du comptable chargé du recouvrement, des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor[5]. Cette procédure est alignée sur celle qui s’applique, en vertu de l’article L 277 du Livre des Procédures fiscales, lorsque le contribuable a contesté le bien-fondé des impositions mises à sa charge. Comme dans cette hypothèse, les garanties prennent la forme d’un dépôt en espèces, d’une créance sur le Trésor, d’une caution bancaire de valeurs mobilières, d’une hypothèque ou d’un nantissement de fond de commerce. L’expatriation aura donc un coût élevé, et si la caution de banque ne peut être obtenue, le départ de France devient impossible, sauf à payer l’impôt. Le sursis de paiement a pour effet de suspendre la prescription de l’action en recouvrement jusqu’à la date de l’événement entraînant son expiration (transmission, rachat, remboursement ou annulation des titres concernés). Mais, le sursis de paiement ainsi accordé cesse de produire ces effets et l’impôt redevient exigible si les titres sont cédés ou transmis avant l’expiration d’un délai de cinq ans. Toutefois, dans ce cas, le contribuable n’est taxé que sur la plus-value qu’il réalise effectivement, et si les plus-values ont fait l’objet d’une imposition dans le nouveau pays de résidence, celle-ci est retranchée de l’impôt dû en France. En revanche, tous les contribuables, qu’ils aient ou non opté pour le sursis de paiement, bénéficient, dans les mêmes conditions d’un dégrèvement total prononcé d’office, si le contribuable est resté cinq ans à l’étranger sans céder ses titres ou si, avant l’expiration de ce délai de cinq ans, le contribuable a transféré de nouveau son domicile en France. Le coût de constitution des garanties, quand le contribuable a opté pour le sursis de paiement, est remboursé, conformément au principe posé par l’article L 208 du Livre des Procédures fiscales. Une des personnalités de l’Administration fiscale[6] a estimé que le caractère pénalisant du dispositif est justement relativisé par le fait que le contribuable peut demander un sursis de paiement et, qu’au bout de cinq ans ou en cas de retour en France, le contribuable peut bénéficier d’un dégrèvement d’office. Il justifie encore le caractère pénalisant en soulignant qu’il s’agit d’un dispositif anti-abus qui vise essentiellement les participations importantes dans toutes sortes de sociétés, et n’a pas pour vocation à s’appliquer à l’immense majorité des porteurs de titres qui ont des participations beaucoup plus faibles. Il estime que « 13000 personnes sont véritablement concernées ». Mais est-ce une raison suffisante pour permettre qu’un dispositif soit pénalisant ? Le fait qu’une taxation similaire existe dans plusieurs pays de l’Union européenne, comme l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Pays-Bas, et que certains des partenaires économiques de la France appliquent l’exit tax, non pas seulement aux plus-values mais à tout le patrimoine, ne pourrait pas, non plus, légitimer un tel dispositif.

Si on combine les dispositions relatives à l’imposition avec celles qui prévoient un sursis de paiement, le dispositif de l’article 167 bis constitue une taxation de certaines plus-values mobilières réalisées, dans les cinq années suivant son départ de France, par un contribuable expatrié. L’originalité de ce dispositif a été contestée pour ces risques dévastateurs. En effet, étaient visés essentiellement les jeunes créateurs d’entreprises qui seront tentés de s’exiler vers le Royaume Uni pour éviter la taxation des plus-values. En pratique, un jeune ingénieur détenant 25% des actions d’une PME innovante et partant à l’étranger pour des raisons professionnelles pouvait, paradoxalement, être conduit à acquitter un impôt sur des plus-values virtuelles, non encore encaissées. Est-ce bien raisonnable ?

B/ … Jusqu’à la mise en œuvre d’une procédure devant la Cour de Justice.

Ces dispositions ont fait l’objet de nombreux débats jusqu’à se trouver déférées devant la Cour de justice des Communautés européennes. On se demande, en effet, si ces mesures de dissuasion instituées pour lutter contre les délocalisations sont bien compatibles avec le droit communautaire.

En ce qui concerne l’application du régime français du prélèvement forfaitaire libératoire, par une lettre de mise en demeure du 30 octobre 2000, la Commission a informé le gouvernement français qu’elle considérait que la réglementation en cause pourrait enfreindre les dispositions du traité CE relative à la libre prestation de services et la libre circulation de capitaux. Le gouvernement français a répondu qu’il considérait que la réglementation en cause était justifiée, et qu’il était ouvert à une éventuelle évolution de sa législation, sous réserve de la mise en place d’un représentant fiscal. La France n’ayant pas convaincu la Commission, cette dernière l’a invitée à se conformer au droit communautaire dans les plus brefs délais. Le gouvernement français étant restée inactif, c’est par une requête déposée au greffe de la Cour le 20 septembre 2002, que la Commission des Communautés européennes a introduit un recours, en vertu de l’article 226 CE, visant à faire constater que la République française, du fait du maintien de ce dispositif discriminatoire excluant l’application d’une mesure favorable au contribuable dès lors que le débiteur n’est pas établi en France, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 56 CE du Traité. La première de ces libertés, la liberté de prestation de services, proclamée à l’article 49 CE, exige l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire, que ce soit en raison de sa nationalité ou en raison de la circonstance qu’il est établi dans un Etat membre autre que celui où la prestation est fournie. Est en principe contraire à cette liberté, toute mesure fiscale susceptible de décourager les opérateurs économiques établis dans un autre Etat membre ou de dissuader des ressortissants nationaux de recourir aux services fournis par ces opérateurs. La seconde de ces libertés, la libre circulation des capitaux, consacrée à l’article 56 CE, s’oppose à ce que les Etats membres adoptent des mesures qui dissuadent leurs résidents de réaliser des investissements sur le territoire d’autres Etats membres, et elle interdit, par conséquent les dispositions fiscales qui produisent un tel effet.

En ce qui concerne l’imposition des plus values latentes, ce dispositif a suscité de vives réactions si bien qu’une question s’est posée au Conseil d’Etat dans l’affaire Lasteyrie de Saillant[7]. Le requérant s’était établi en Belgique le 12 décembre 1998 pour y exercer ses activités professionnelles. Disposant de participations substantielles dans différentes sociétés françaises, il était donc susceptible de se voir appliquer l’imposition prévue à l’article 167 bis du Code général des impôts. Estimant que cette obligation était contraire à son droit de s’établir dans un autre Etat de la Communauté, le requérant a formé devant le Conseil d’Etat un recours en annulation du décret n°99-590 du 6 juillet 1999 pris pour l’application des dispositions légales précitées. Le Conseil d’Etat a statué sur le principe de la liberté d’aller et de venir en considérant que cette liberté n’était pas ici en cause dès lors que le fait générateur de la taxation prévue à l’article 167 bis n’était pas la sortie du territoire, mais le transfert du domicile fiscal. Puis, le Conseil d’Etat a examiné le moyen selon lequel ce dispositif était contraire à la liberté d’établissement dans la mesure où une législation nationale peut être contraire à l’article 52 du Traité CEE, devenu l’article 43 CE, si elle a pour effet d’entraver l’exercice de la liberté d’établissement par les ressortissants de l’Etat membre concerné, même de façon indirecte. Le Conseil d’Etat, eu égard aux incertitudes, au niveau communautaire, que suscite la question posée, a décidé qu’il serait « sursis à statuer sur la requête de M. de Lasteyrie du Saillant jusqu’à ce que la Cour de Justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question préjudicielle énoncée dans les motifs de la présente décision ».

La Cour de Justice des Communautés européennes a donc été saisie d’une demande de décision à titre préjudiciel par décision du Conseil d’Etat français, Section du contentieux, rendue le 14 décembre 2001, dans l’affaire Hugues de Lasteyrie du Saillant contre Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, et qui est parvenue au greffe de la Cour le 14 janvier 2002. Le Conseil d’Etat demandait à la Cour de Justice de statuer sur la question de savoir si le principe de la liberté d’établissement, posé par l’article 52 du traité de la Communauté européenne (devenu article 43 CE), s’oppose à ce qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal, tel que celui résultant de l’article 167 bis du Code général des impôts dans sa rédaction en vigueur. Le Commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions rendues dans cette affaire[8], à peu près convaincu que les dispositions de l’article 167 bis sont incompatibles avec la liberté d’établissement, telle qu’elle est définie dans la jurisprudence actuelle de la Cour de justice, n’a pourtant pas voulu conclure à l’annulation du décret d’application de cet article et préfère soumettre cette question « centrale » à la Cour de Justice.

II/ L’INCOMPATIBILITE DES MESURES FRANCAISES AVEC LES LIBERTES DE CIRCULATION COMMUNAUTAIRE.

A/ L’incompatibilité de l’Exit Tax avec la liberté d’aller et venir

Alors que le Commissaire du Gouvernement dans ses conclusions et le Conseil d’Etat dans sa décision du 14 décembre 2001 ont écarté le moyen subsidiaire du requérant selon lequel ce dispositif était contraire à la liberté d’aller et venir d’une personne physique, on peut se permettre de douter de ce point de vue. En effet, le Commissaire du Gouvernement a souligné que la liberté d’aller et venir n’est selon nous, pas en cause lorsque le fait générateur de la taxe est constitué, non par le déplacement physique de la personne, mais par le déplacement de son domicile fiscal. Il a ajouté de manière un peu excessive, que « sous l’empire de l’article 167 bis, chacun est libre d’aller à Bruxelles aussi souvent qu’il le souhaite, à condition de payer ses impôts en France »[9]. Le Conseil d’Etat en a d’ailleurs conclu que ces dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet de soumettre à de quelconques restrictions ou conditions l’exercice effectif de la liberté d’aller et venir. On peut regretter que le Conseil d’Etat n’ait pas décidé de sursis à statuer pour cette question subsidiaire car l’atteinte à la liberté d’aller et de venir parait constituée ou, du moins, aurait mérité une position claire de la Cour de Justice qui ne s’est jamais vraiment prononcée sur ce point en droit fiscal. Cette question méritait un examen approfondi pour plusieurs raisons que sont les suivantes.

Tout d’abord, on ne peut nier que les législateurs ne se sont jamais caché que ces dispositions avaient pour but de prévenir la délocalisation à des fins purement fiscales de certains contribuables fortunés qui partent s’installer, le temps de vendre leur entreprise, dans un pays étranger ayant conclu avec la France des conventions internationales ne lui reconnaissant pas le droit d’imposer les plus-values sur ces participations substantielles et qu’il s’agissait « d’un impôt forfaitaire destiné à dissuader les délocalisations des grandes fortunes »[10]. Il semble alors évident que le législateur, dans l’esprit de la loi, voulait restreindre la liberté d’aller et venir de certains contribuables.

Ensuite, le Conseil constitutionnel a toujours consacré ce principe comme principe à valeur constitutionnel[11] et la Cour de cassation est allée même jusqu’à juger que « la liberté fondamentale d’aller et de venir n’est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter »[12].

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que les articles 8 et 8-A du Traité CE instituent « une citoyenneté de l’Union » et prévoient que « tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prévues pour son application ». La Cour a d’ailleurs considéré que ce principe devait bénéficier à tous les citoyens de l’Union et que « le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres, permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique »[13].

Aux vues de ces considérations, on peut avoir un certain regret que le Conseil d’Etat n’ait pas laissé la Cour de Justice maîtresse de cette décision comme il a pu le faire pour la question de la compatibilité avec la liberté d’établissement.

B/ L’incompatibilité de l’Exit Tax avec la liberté d’établissement

La Cour vient donc de décider que : « Le principe de liberté d’établissement posé par l’article 52 du Traité CE, devenu article 43 CE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du Code général des Impôts français, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet Etat »[14]. Elle semble respecter la position de l’Avocat général, M. Jean Mischo, qui avait conclu et proposé la réponse suivante : « L’article 52 du Traité, devenu article 43 CE, s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit, à la charge de tous les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal dans un autre Etat membre, un mécanisme d’imposition immédiat des plus-values non encore réalisées »[15]. L’un des objectifs du Traité de 1957 était de réaliser l’abolition entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, objectif réaffirmé dans l’article 7-A du Traité CE. Cet objectif trouve sa concrétisation dans l’article 52 du Traité CE, devenu article 43 du Traité CE, qui dispose que « les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites » et que « la liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises ». Cet article constitue, depuis fort longtemps, pour la Cour, l’une des dispositions fondamentales de la Communauté directement applicable dans chacun des Etats membres, et elle ne manque pas de le rappeler dans le préambule de cette décision. Comme le rappelle la Cour dans un considérant de principe souvent repris, « si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent l’exercer dans le respect du droit communautaire »[16]. Faisant application de ces principes, la Cour a affirmé avec beaucoup de clarté que ces dispositions « s’opposent également à ce que l’Etat d’origine entrave l’établissement dans un autre Etat membre d’un de ses ressortissants »[17] même si cette restriction est de faible portée ou d’importance mineure.

La Cour, tout comme avait pu le faire l’Avocat général fait une application parfaite des conditions d’atteinte au principe de liberté d’établissement en caractérisant, d’abord, une restriction ou une entrave à cette liberté, et, ensuite, en recherchant les éventuelles justifications à cette restriction.

1/ La caractérisation d’une entrave fiscale

La Cour, ici, une fois de plus considère que cette disposition, tout en n’interdisant pas au contribuable d’exercer son droit d’établissement, restreint l’exercice de ce droit en ayant un effet dissuasif à l’égard des contribuables qui souhaitent s’installer dans un autre Etat membre.

Certains gouvernements, lors de la présentation des observations, ont estimé que les règles françaises n’ont pas pour effet, direct ou indirect, d’empêcher les ressortissants français de s’établir dans un autre Etat membre, et qu’il n’existe aucun indice permettant d’affirmer que l’imposition limite la possibilité pour lesdits ressortissants de s’établir dans un autre Etat membre et qu’il n’y a pas nécessairement perception de l’impôt au moment du transfert du domicile grâce au mécanisme du sursis de paiement ou du dégrèvement d’office. Ils semblent alors avoir ignoré une jurisprudence constante[18], selon laquelle « la liberté d’établissement peut être entravée par une mesure nationale qui ne comporterait pas d’interdiction mais serait simplement de nature à dissuader un opérateur de faire usage de cette liberté ». En effet, force est de constater que lesdites dispositions font subir à un contribuable, désireux de quitter le territoire français, de considérables désavantages par rapport à une personne qui continuerait à résider en France. Le fait générateur de l’impôt est alors déterminé par le transfert du domicile fiscal hors de France et non par la cession des titres concernés. Il y donc bien différence de traitement discriminatoire dans la mesure où le contribuable qui quitte la France est pénalisée par rapport à celui qui y reste. On pourrait presque considérer qu’une telle obligation constitue à elle seule une entrave à la liberté d’établissement. On peut alors qualifier ce dispositif comme générateur de différence de traitement claire ou de restriction typique à la sortie du territoire qui ne pourrait être affectée par les modalités dont est assortie l’imposition. En effet, le sursis de paiement n’est pas automatique et, soumis à de nombreuses conditions, est très contraignant pour le contribuable qui se délocalise : les conséquences financières de ces garanties sont très coûteuses, et le fait que, après cinq ans, le contribuable visé par les dispositions en cause soit en droit de bénéficier d’office du dégrèvement de l’impôt, accompagné du remboursement des frais de constitution de garanties, s’il ne s’est pas défait entre-temps des titres ayant donné lieu à imposition ou s’il revient en France avant le délai de cinq ans, ne suffit pas à faire disparaître l’effet restrictif des dispositions concernées. Il apparaît très nettement que ces modalités ne sont pas des facilités qui pourrait atténuer le caractère pénalisant du dispositif et peuvent même être considérées, à certain égard, comme sanctionnant un peu plus les contribuables qui décident de quitter le territoire français. En effet, le contribuable ne pourra pas garder la jouissance de son patrimoine s’il affecte en garantie et les titres deviennent indisponibles pour d’autres usages que le propriétaire pourrait vouloir en faire. Sur ce point, la Cour considère que ces garanties comportent par elle-même un effet restrictif, dans la mesure où elles privent le contribuable de la jouissance du patrimoine donné en garantie.

Sur l’existence de restriction à la liberté d’établissement, l’entrave fiscale et son interdiction n’ont fait aucun doute pour l’Avocat général qui avait conclu, sur ce point, que les dispositions visées par l’ordonnance de renvoi soumettent les contribuables détenteurs de participations substantielles souhaitant transférer leur domicile fiscal hors de France à des différences de traitement de nature à restreindre la liberté d’établissement que leur reconnaît le Traité. Il y a donc lieu d’examiner si lesdites dispositions sont susceptibles d’une justification qui les ferait échapper à l’interdiction découlant de l’article 43 CE. La Cour, ayant suivi sa position, est très claire : la mesure en cause au principal est susceptible d’entraver la liberté d’établissement. Elle poursuit en admettant qu’une mesure ne peut entraver la liberté d’établissement que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, (…) et que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. La Cour semble attacher une importance particulière à la proportionnalité de la mesure caractérisant une entrave.

2/ La possibilité de justifier cette entrave fiscale

Il est possible de justifier une restriction à la liberté d’établissement par une raison impérieuse d’intérêt général. La Cour a réfuté les quatre arguments qui lui ont été exposés, estimant qu’aucun ne pouvait qualifier une raison impérieuse d’intérêt général. Ces arguments sont les suivants.

En premier lieu, certains pensent que l’objectif de la règle nationale est d’empêcher l’érosion nationale de la base d’imposition de l’état membre afin d’éviter que la personne physique retire un avantage trop important des différences entre les régimes fiscaux[19]. L’Avocat général a considéré que cet objectif, étant de nature purement économique, ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général. Il se réfère alors à une jurisprudence constante de la Cour selon laquelle une réduction des recettes fiscales ne peut être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier d’une inégalité de traitement en principe incompatible avec l’article 43 CE. En effet, il est inopportun qu’une règle de « protection économique » puisse légitimer une restriction à une liberté fondamentale qui est celle de la liberté d’établissement. La Cour estime que le simple manque à gagner ne saurait en soi justifier une telle restriction. On peut penser que la souveraineté fiscale des Etats membres trouve alors ses limites dans cette liberté peu importent les conséquences d’une concurrence fiscale dommageable entre Etats membres.

En second lieu, sont invoqués les objectifs de lutte contre l’évasion fiscale et l’efficacité des contrôles fiscaux. Le gouvernement français a soutenu que le dispositif litigieux vise à empêcher un abus de droit par l’utilisation frauduleuse par un contribuable des libertés découlant pour lui du droit communautaire. Il rappelle qu’en vertu du principe de la souveraineté fiscale, chaque Etat membre est libre de prendre les mesures nécessaires afin d’éviter que l’imposition des plus-values soit privée de sa substance par des comportements abusifs. Il a souligné que l’application de l’article 167 bis du Code général des Impôts est proportionné au but poursuivi, car les sujétions imposées au contribuable sont limitées dans le temps (l’imposition établie est susceptible de devenir qu’à l’intérieur d’un délai de cinq ans suivant la date de l’expatriation). En effet, la jurisprudence ICI a reconnu le caractère d’exigence impérieuse, de nature à justifier une restriction, à la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutter contre l’évasion fiscale[20]. Mais sur ce deuxième point, seule est susceptible d’être justifiée une législation qui aurait pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale. La Cour fait application de la jurisprudence en rappelant que l’article 167 bis du Code général des Impôts n’a pas pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale française, mais vise, de manière générale, toute situation dans laquelle un contribuable (…) transfère, pour quelque raison que ce soit, son domicile hors de France. Dans cette affaire, le dispositif litigieux va très au-delà de ces limites jusqu’à créer, comme l’a exposé le requérant, une présomption irréfragable de fraude fiscale dès lors que le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France pour quelques raisons que se soient. Ce dispositif est trop systématique et ne tient pas compte des raisons qu’ont pu pousser le contribuable à émigrer à l’étranger. En effet, l’établissement d’un contribuable à l’étranger n’implique pas en soi la fraude fiscale, et c’est à l’Administration qu’il devrait revenir de prouver, au cas par cas, qu’il existe un risque d’évasion fiscale. Sans excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de prévention de l’évasion fiscale, l’article 167 bis du Code général des impôts ne peut présumer l’intention de contourner la loi fiscale française de tout contribuable qui transfère son domicile hors de France. Outre cette présomption irréfragable de fraude fiscale, la règle nationale est disproportionnée par l’existence d’une différence de traitement entre un contribuable qui reste à l’étranger plus de cinq ans sans vendre ses titres et celui, qui tout en restant à l’étranger pour la même durée, vend ses titres avant l’expiration des cinq ans. L’Avocat général a considéré qu’un critère constitué par la rapidité du retour en France serait, à priori, plus en rapport avec l’objectif d’empêcher le contribuable d’éluder l’impôt par le simple expédient d’un bref séjour dans un autre Etat membre, durant lequel les titres seraient cédés. La Cour, suivant les propositions de l’Avocat général, estime que des mesures moins contraignantes ou moins restrictives, ayant trait spécifiquement au risque d’un tel transfert temporaire pourraient permettre à la France de lutter raisonnablement contre les délocalisations frauduleuses. La mesure française est donc incontestablement excessive par rapport au but recherché et il existe des mesures moins restrictives des libertés fondamentales du droit communautaire qui permettrait tant de lutter contre l’évasion fiscale que de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux. La Cour conclut, sur ce point, qu’il découle de tout ce qui précède que la règle nationale en cause ne saurait être justifiée par la lutte contre l’évasion fiscale ou la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux. Elle estime que l’article 52 du Traité s’oppose à de telles dispositions dans un but non proportionné de prévention de risque d’évasion fiscale.

En troisième lieu, les exigences de la cohérence du système fiscal français sont mises en cause. Cela signifie que la mesure devient nécessaire, lorsque au transfert à l’étranger du domicile fiscal du contribuable, l’imposition ultérieure ne serait plus garantie. La Cour décide qu’il ne saurait être soutenu que l’article 167 bis du Code général des Impôts est justifié par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal français. L’Avocat général avait réfuté cette éventuelle justification car le transfert dans un autre Etat membre du domicile fiscal du contribuable ne signifie pas nécessairement que le recouvrement de l’impôt est compromis. Le dispositif est, par lui-même, contraire à l’objectif de cohérence fiscale puisque celui-ci reconnaît comme principe, dès lors que des conventions fiscales de prévention de double imposition existent, l’imposition dans l’état de résidence du contribuable. Enfin, dès lors qu’est prévu un impôt prélevé sur des plus-values latentes et non pas réalisées, la règle litigieuse est une exception à la cohérence du système fiscal en cause et ne saurait être considérée comme nécessaire à celle-ci.

Enfin, en quatrième lieu, l’objectif de répartition du pouvoir entre l’Etat de départ et celui de destination a été mis en avant par le gouvernement allemand pour justifier cette entrave. L’idée était d’imposer des plus-values dans l’Etat de départ du fait qu’elles sont régulièrement nées de l’activité de la société dans l’Etat de départ. Mais les Etats membres, dans l’exercice de leur souveraineté fiscale et leur pouvoir de répartition des impositions, ne peuvent s’affranchir du respect des règles communautaires[21]. En l’espèce, la répartition du pouvoir fiscal entre les Etats membres n’est pas en cause et le litige porte sur la question de savoir si les mesures adoptées sont conformes aux exigences de la liberté d’établissement.

Il découle des considérations exposées ci-dessus que le dispositif litigieux est constitutif d’une restriction incompatible avec l’article 43 CE et n’est pas susceptible d’être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général.

C/ L’incompatibilité du régime du prélèvement libératoire avec la liberté de prestation de services et la libre circulation des capitaux

1/ Une différence de traitement indiscutable

La Cour constate que la réglementation en cause constitue une restriction, à la fois, à la libre prestation de services en vertu de l’article 49 CE, et à la libre circulation des capitaux en vertu de l’article 56 CE. Il est intéressant de relever que la Cour préfère parler de « restriction » ou d’ « effet restrictif » plutôt que d’entrave, peut être a-t-elle voulu atténuer sa position et éviter de trop vives critiques. Comme l’avait justement relevé l’Avocat général, M. D. RUIZ- JARABO COLOMER, la différence de traitement fiscal est réelle : le droit d’option n’existe que lorsque les assujettis à l’impôt et les personnes tenues au paiement des revenus financiers sont domiciliées ou établies en France ; pour le reste il n’existe pas d’alternative[22] et les assujetties n’ont pas d’autres choix que de soumettre ces revenus mobiliers « étrangers » à une imposition générale sur le revenu.

Sur l’attractivité des taux, le gouvernement français a tenté de minimiser l’inégalité en faisant valoir que le barème de l’impôt est quelque fois plus avantageux, ou sinon identique, pour le contribuable que le taux du prélèvement. En effet, elle soutien que le taux moyen d’imposition des contribuables seraient de 9%, que la grande majorité d’entre eux auraient donc un taux d’imposition inférieure ou égal à 15%, et que le taux marginal moyen s’établirait à environ 25%. En revanche, le taux d’imposition bas du prélèvement libératoire ne concernerait que des contrats d’assurance vie d’une durée de plus de huit ans. Pour le reste, les taux applicables seraient de 15% ou 35% au mieux et se rapprocheraient donc du taux marginal moyen du barème de l’impôt sur le revenu. Or, la France a oublié que, pour les revenus très élevés des assujettis fortunés, les taux des prélèvements libératoires pouvaient être nettement inférieurs à des taux marginaux d’imposition sur le revenu avoisinant les 45%.

Il est reconnu par les analystes fiscaux, d’une façon générale, que le prélèvement libératoire est favorable aux contribuables, dans la mesure où à défaut d’option, les revenus soumis à l’impôt sont susceptibles d’être frappés au titre de l’impôt sur le revenu à un taux effectivement supérieur à celui du prélèvement.

La Cour, sur ce point, a relevé qu’il est constant que le prélèvement libératoire entraîne, dans certaines situations, un avantage fiscal non négligeable par rapport à l’imposition normale sur le revenu. D’une part, un tel avantage ne peut être affecté par le fait que, dans d’autres situations, l’avantage pour le contribuable est relativement mineur. D’autre part, le prélèvement libératoire ne s’appliquant que sur option du contribuable lui-même, cette option sera exercée que si elle lui sera favorable et le fait de le priver de cette option est discriminatoire.

Sur le moment du règlement de l’impôt et ses effets sur la trésorerie, la France tente aussi de relativiser la différence de traitement fiscal en considérant que le laps de temps pris par la liquidation dans l’un et dans l’autre cas rend le paiement de l’impôt plus attrayant que l’option pour le prélèvement. Le prélèvement libératoire présenterait, selon elle, l’inconvénient d’être opéré à la source, soit d’être payable immédiatement, alors que l’impôt sur le revenu ne devrait être acquitté qu’au mois de septembre de l’année suivant celle de la perception du revenu. Ainsi le délai de paiement supplémentaire pourrait atteindre 20 mois et ceci favoriserait considérablement la gestion de la trésorerie du contribuable.

L’Avocat général avance que même si, en terme de trésorerie, il vaut mieux pour le contribuable être soumis à l’impôt sur le revenu que de payer le prélèvement libératoire, l’obstacle à la libre circulation des capitaux et à la libre prestation des services ne disparaît pas pour autant puisque l’avantage ainsi réalisé ne saurait justifier un traitement fiscal contraire à une liberté fondamentale. L’Avocat général considère, enfin, que ce raisonnement est manifestement dépourvu de fondement et ne fait pas l’objet du débat en l’espèce, puisqu’il s’agit de vérifier si l’impossibilité d’opter pour le prélèvement forfaitaire libératoire est constitutive d’une différence de traitement, ce qui semble ne faire aucun doute.

La Cour qualifie la mesure française de restrictive et justifie sa position par un raisonnement en deux temps : le système établi constitue une restriction parce qu’il dissuade les résidents fiscaux en France d’investir leur épargne dans les produits financiers offerts par des organismes étrangers, et parce qu’il fait obstacle à ce que ces derniers offrent leurs produits sur le territoire français, en raison du fait que les revenus desdits produits font l’objet d’un traitement fiscal moins favorable que celui des produits distribués par les concurrents établis ou domiciliés en France. Il s’agit d’inciter les épargnants à investir dans des valeurs françaises plutôt qu’étrangères. La Cour, une fois la restriction qualifiée, a tenté de vérifier si de telles restrictions étaient justifiées.

2/ Une différence de traitement injustifiable

La Cour rappelle qu’une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscale ne saurait suffire à justifier une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs du Traité. L’Avocat général a estimé que cet objectif d’intérêt général n’est pas un chèque en blanc accordé aux Etats membres pour rogner les libertés. Comme toute exception à un principe cardinal de l’ordre communautaire, il doit être interprété restrictivement et être appliqué dans le respect des exigences du principe de proportionnalité[23]. Le principe de proportionnalité implique que la mesure restrictive doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

S’agissant des difficultés dans la gestion de l’impôt, le gouvernement français a soulevé que le fait que le débiteur du revenu soit établi hors de France rende peu aisé le paiement de l’impôt et l’efficacité des contrôles. En effet, selon lui, dans le cadre du dispositif actuel du prélèvement libératoire, l’exercice du contrôle fiscal par l’Administration s’effectuerait aisément auprès des débiteurs ou de leurs établissements payeurs résidents qui sont directement redevables de l’impôt et sujets à contrôle en lieu et place des contribuables. A l’inverse, lorsque le débiteur des produits financiers a son siège hors de France, l’Administration fiscale serait cependant dépourvue de moyens effectifs pour contrôler le respect des conditions d’application du prélèvement forfaitaire libératoire, notamment concernant les taux. Cette difficulté serait d’autant plus importante lorsque la société est établie dans un état pratiquant le secret bancaire ou limitant la portée des procédures d’échanges d’informations. Le gouvernement français envisage péniblement un contrôle auprès de l’investisseur, et non auprès du débiteur, car elle considère que cela supposerait l’abandon d’un système simple et efficace fondé sur un contrôle ex-ante, effectué avant l’application du prélèvement à la source, au profit d’un contrôle ex-post non systématique et risqué lié à la difficulté de réunir les recoupements des éléments nécessaires.

Mais l’impôt libératoire n’implique pas nécessairement une retenue à la source et rien ne s’oppose à des modalités de recouvrement plus simple, comme la déclaration volontaire et spontanée, qui permettent d’appliquer le prélèvement libératoire à des revenus financiers payés par des entités étrangères[24]. Dans cette affaire, il est clairement établi que l’objectif poursuivi pouvait être atteint par d’autres moyens et que le principe de proportionnalité exclut que de simples difficultés administratives puissent être érigées en raisons absolues justifiant un traitement discriminatoire qui, dans la mesure où il est contraire aux libertés précitées, ne peut être légitimé que par des arguments particulièrement solides. Seule, aux fins de l’application générale du prélèvement libératoire, la possibilité de déclaration volontaire annuelle des revenus financiers obtenus de sociétés établies dans d’autres Etats membres pourrait, selon la Cour, répondre parfaitement aux besoins du contrôle et ne constituerait pas une atteinte à l’équilibre du système fiscal en cause. En l’état actuel des choses, l’Avocat général a conclu que, quelles que soient les raisons ou les objectifs de ce dispositif, le résultat est de rendre plus attractif pour le contribuable français le placement de son épargne en produits financiers offerts par des sociétés établies en France.

S’agissant des obstacles que le gouvernement français a dénoncés à l’encontre des possibilités qu’offre la directive 77/799/CEE[25], c'est-à-dire du manque d’efficacité de celle-ci à produire des effets dans les Etats membres qui pratiquent le secret bancaire, la Cour tient à souligner que l’impossibilité de demander une telle collaboration ne saurait justifier la non-application d’un avantage fiscal aux revenus obtenus dans ces Etats.

La Cour, se référant aux conclusions de l’Avocat général, rappelle les possibilités qu’offre cette directive qui peut être invoquée par les autorités d’un Etat membre afin d’obtenir d’un autre pays communautaire toutes les informations nécessaires pour déterminer et calculer, conformément à la législation applicable, l’impôt sur le revenu dû par un contribuable. Comme le soulève l’Avocat général, l’argument du secret bancaire est dépourvu de pertinence pour deux raisons. Premièrement, l’existence d’informations non communicables est déjà prévue dans les normes communautaires, et la Cour a même reconnu que ces dernières pouvaient être un instrument au service d’un contrôle fiscal efficace[26]. Deuxièmement, même si dans certaines situations, les informations ne peuvent être vérifiées, cela ne saurait justifier que certains contribuables, percevant des revenus financiers auprès d’entités établies hors de France, restent en marge du système d’option. Il s’agit, une fois de plus, d’une conséquence disproportionnée par rapport à l’objectif de la norme.

La différence de traitement n’est donc pas justifiable par un quelconque intérêt général.

CONCLUSION

La Cour, par ces deux décisions très remarquées, a donc largement condamné la législation fiscale française, mais des questions restent en suspens.

Concernant le problème de l’application de l’exit tax, cette question préjudicielle a permis à de nombreux Etats membres, ayant pris des mesures comparables, de faire valoir leurs observations, ce qu’il n’aurait pas pu faire devant le Conseil d’état. L’intérêt de la décision de la Cour ne se limite donc pas seulement au dispositif français et a vocation à être d’application générale pour tous les Etats membres. En effet, on peut imaginer que soit les Etats concernés modifieront leur législation d’eux-mêmes, soit ces législations feront l’objet de recours en manquement qui les obligeront d’une manière ou d’une autre à changer leur législation. On peut donc penser que cette décision sera sans frontières, ou presque, puisque se pose la question de savoir si cette législation sera garantie au-delà de la Communauté. Il semble que le problème aura vocation à se déplacer. Cette décision ne sera pas sans suite, et des problèmes subséquents se poseront à l’issu de cette affaire dans la mesure où les relations fiscales internationales sont largement remises en cause notamment en ce qui concerne la prévention de l’évasion fiscale.

Concernant le régime français du prélèvement libératoire, la France a, certes, été condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes mais la question reste de savoir si elle va réellement modifier son dispositif en élargissant les possibilités d’option au prélèvement libératoire aux contribuables disposant de placements dans des entités établies à l’étranger, ou va-t-elle seulement soumettre cette option à des conditions contraignantes pour le contribuable.

Malgré ces incertitudes, il est certain que la Cour de Justice a clairement posé des limites au « Fiscalisme français ».

[1] CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française.

[2] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de LASTEYRIE DU SAILLANT c/ Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

[3] M. Jean-Pierre LE GALL, professeur à l’université Paris II et président du CEFEP.

[4] Compte rendu du colloque organisé par le CEFEP au Sénat le 23 mars 2000, DF n°29, 2000, p.1042.

[5] Instruction du 15 novembre 1999, BOI 5B-20-99, DF 1999, n°49, instr. 12342.

[6] M. Jean-Pierre LIEB, sous directeur de la sous direction B de la Direction de la législation fiscale

[7] Conseil d’Etat, 14 décembre 2001, req. n°211341, M. LASTEYRIE DU SAILLANT, RJF 2/02 n°160.

[8] Conclusions du commissaire du Gouvernement Guillaume GOULARD, sous CE 14 décembre 2001, bulletin des conclusions fiscales 2/02, n°22, p.29.

[9] Conclusions du commissaire du Gouvernement Guillaume GOULARD, sous CE 14 décembre 2001, precit. .

[10] M.MIGAUD, Rapp. AN. Sur le projet de loi de finances pour 1999, p.282.

[11] Conseil constitutionnel, 12 juillet 1979, n°79-107, rec. cons. const., p.31.

[12] Cass. 1ère civ., 28 novembre 1984, Bull. civ., I, n°432.

[13] CJCE, 20 septembre 2001, aff. C-184/99, Rudy Grzelczyk, point 31.

[14] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit, point 69..

[15] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, 13 mars 2003, aff. C-9/02, Hughes de LASTEYRIE DU SAILLANT c/ Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, point 85.

[16] CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Schumacher, rec. p. I-225, CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 44.

[17] CJCE, 27 septembre 1988, aff. 81/87, Daily Mail, rec. p. 5483 ; et CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-379/92, Peralta, rec. p.3487, CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 42.

[18] CJCE, 13 avril 2000, Baars, aff. C-251/98, rec. p.I-2787.

[19] Objectif reconnu par la Cour comme raison impérieuse dans CJCE du 28 avril 1998, SAFIR, aff. C-118/96, rec. p.I-1897.

[20] CJCE, 15 mai 1997, Futura participations et Singer, aff. C-250/95, rec. p.I-2471.

[21] CJCE, 21 septembre 1999, Saint Gobain ZN, aff. C-307/97, rec. p.I-6161.

[22] Conclusions de l’Avocat général RUIZ-JARABO COLOMER, 16 octobre 2003, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française.

[23] CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98, Commission c/ Belgique.

[24] CJCE, 30 mai 2002, aff. C-516/99, Schmid, conclusions de l’Avocat général TIZZANO.

[25] Directive 77/799/CEE du Conseil, 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs, JO L336 p.15.

[26] CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission c/ Belgique.

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