Le quotidien LES ECHOS révélait, Vendredi 18 septembre, que le gouvernement entendait maintenir les prélèvements sociaux pour les non-résidents et ce, malgré la condamnation de la France par la CJUE confirmée par le Conseil d’Etat.
C’est chose faite ce jeudi 24 septembre dans un communiqué du Secrétaire d’Etat chargé du Budget, Christian ECKERT, concernant les orientations du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2016.
La position confirmée du Gouvernement
Dans le communiqué du 24 septembre 2015, le secrétaire d’Etat chargé du Budget indique que le Gouvernement entend affecter les prélèvements sociaux au « financement de prestations non contributives, identiques à celles financées par les autres impôts ». En d’autres termes, le Gouvernement confirme sa position de vouloir modifier l’affectation des prélèvements sociaux en ne corrélant plus ceux-ci avec les prestations sociales, mais avec des prestations identiques à celles financées par les impositions de toute nature, imposition hors champ des règlements communautaires de sécurité sociale.
Le Gouvernement se justifie en considérant qu’il s’avère impossible « de les affecter au financement de prestations d’assurance dont certains redevables ne bénéficient pas du fait de leur affiliation dans un autre Etat membre ». Ainsi, le Gouvernement se rallie à la position de la Cour de Justice en reconnaissant le principe de l’unicité d’imposition et contourne cette notion, en vue de la respecter, en modifiant l’affectation des prélèvements sociaux « dans le respect de l’équité entre l’ensemble des contribuables qui bénéficient de revenus de source française ».
Par ailleurs, le Gouvernement s’engage à prendre acte des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne et du Conseil d’État, et décide de procéder au remboursement des prélèvements sociaux qui ont été effectués à tort sur les revenus du patrimoine de source française des années antérieures perçus par les personnes qui relèvent du système de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union Européenne (ci-après UE).
En effet, le Gouvernement ne peut prétendre modifier l’affectation des prélèvements sociaux de manière rétroactive. Toutefois, il envisage de restreindre ce droit à remboursement aux redevables établis dans un autre État membre de l’UE qui ne sont pas affiliés au régime français de sécurité sociale. Ainsi, les résidents d’Etats tiers à l’UE ayant perçu des revenus patrimoniaux de source française ne devraient pas avoir droit au remboursement.
La réaction des Sénateurs établis hors de France
Les sénateurs représentant les Français établis hors de France, Richard YUNG, Hélène CONWAY-MOURET, Jean-Yves LECONTE et Claudine LEPAGE, ont vivement réagi sur leur blog à cette prise de position. Ils considèrent qu’il apparaît « injuste et discriminatoire que les contribuables résidant hors de l’UE qui ne sont pas affiliés au régime français de sécurité sociale soient exclus du remboursement. Ce faisant, le Gouvernement crée deux catégories de Français de l’étranger. »
Ils réagissent également au changement d’affectation à venir des prélèvements sociaux, en s’engageant à veiller au respect du droit communautaire de cette mesure.
L’annonce de la mise en conformité de la législation française est contraire au Droit communautaire.
La position du Gouvernement quant au changement d’affectation est selon nous contestable.
Les « Echos » avaient évoqué une affectation au Fonds de Solidarité Vieillesse. Or, il semble qu'une telle affectation serait inopérante dès lors que la branche vieillesse relève du champ d'application du règlement n° 1408/71 (article 4, paragraphe 1, sous c) et du règlement n° 883/2004 (article 3, paragraphe 1, sous d). Au surplus, les prélèvements sociaux sont déjà affectés au Fonds de Solidarité Vieillesse. Cela ne saurait donc écarter les prélèvements sociaux du champ d'application des règlements et le principe d’unicité de législation continuerait à s’appliquer.
Les Sénateurs font référence à une affectation à la Prestation Spécifique Dépendance. Celle-ci entre aussi dans le champ des règlements communautaires de sécurité sociale.
Ainsi, ces changements d'affectation n'aurait donc aucun effet au regard du contentieux, dès lors que le redevable pourra toujours continuer à viser la non-conformité de la législation française avec les règlements communautaires et le principe d’unicité de la législation en vue de s’affranchir du paiement des prélèvements sociaux réclamés.
La position du Gouvernement quant à la discrimination entre non-résidents de l’UE et non-résidents d’Etats Tiers à l’UE est selon nous contestable.
Pour les prélèvements sociaux payés au titre des revenus des années antérieures (2012 à 2015), le Gouvernement décide donc de distinguer le cas des non-résidents de l’Union européenne et des non-résidents d’Etats tiers à l’UE. Dans la mesure où la condamnation de la France s’appuie sur le Règlement européen interdisant le non-cumul des régimes de sécurité sociale au sein de l’UE, le législateur français pourrait se limiter à exclure des prélèvements sociaux les non-résidents de l’UE qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale étranger.
Toutefois, au regard de la récente décision du Conseil d’Etat relative au taux d’imposition des plus-values immobilières des non-résidents (CE du 20 octobre 2014), il a été jugé que la différence de taux d’imposition entre les non-résidents de l’UE et les non-résidents d’Etats tiers à l’UE était contraire au principe de libre circulation des capitaux. Dès lors, la France ne pourrait envisager une telle distinction pour l’application des prélèvements sociaux sans s’exposer à une nouvelle condamnation.
Par ailleurs, la CJUE a retenu le principe d'unicité de la législation résultant du règlement communautaire 1408/71 du 14 juin 1971 modifié en 2004. Or, la plupart des conventions internationales ont, entre autres objets, celui de déterminer une seule législation sociale applicable à la personne afin d'éviter autant la double-affiliation que l'absence d'affiliation à l'une ou l'autre législation des États. Par conséquent, l’Administration fiscale en refusant le remboursement aux non-résidents d’Etats Tiers à l’UE se mettrait en contradiction avec les engagements internationaux de la France. Il pourrait naître ainsi un riche contentieux qui pourrait aboutir à une nouvelle condamnation de la France.
Dans l’attente, nous encourageons donc les résidents d’Etats tiers à l’UE à introduire leur demande de remboursement au regard de la récente décision du Conseil d’Etat relative au taux d’imposition des plus-values immobilières des non-résidents (CE du 20 octobre 2014) et des engagements internationaux de la France en matière de sécurité sociale, et ce avant le 31 décembre 2015 pour obtenir le remboursement des prélèvements sociaux sur les revenus fonciers réalisés en 2012 et sur les plus-values immobilières réalisées en 2013. Nous encourageons également les non-résidents dans l’UE à formaliser leur demande de remboursement, sans attendre une position du Gouvernement qui ne devrait pas procéder à ces remboursements de manière automatique.
Enfin, pour l’avenir, le débat dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale promet d’être houleux. Dans l’hypothèse d’une issue négative, il sera indispensable d’introduire à nouveau chaque année des réclamations en vue du dégrèvement de ces cotisations, afin de ne pas voir ces demandes prescrites quand la France se verra condamnée pour irrespect du droit communautaire.