L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales ainsi que ses cinq décrets d’application clarifient les dispositions applicables aux sociétés d’exercice libéral pour les professions libérales réglementées, notamment les professionnels de santé (médecins ou dentistes) ou du milieu judiciaire (notaires et avocats).
Cette réforme, entrée en vigueur au 1er septembre 2024, est l’occasion de revenir sur le passage d’une entreprise individuelle en société d’exercice libéral et d’exposer les changements à prendre en compte.
1. L’intérêt du passage en SEL
L’intérêt principal du passage en société d’exercice libéral (SEL) est de permettre aux membres des professions libérales soumis à un statut législatif ou réglementaire d’exercer en commun leur activité. Les SEL sont soumises à l’impôt sur les sociétés pour l’imposition de leur bénéfice avec un taux d’imposition de 15% jusqu’à 42 500 € et de 25% au-delà. Cependant, la société d’exercice libéral à responsabilité limitée unipersonnelle (SELARLU) relève du régime des sociétés de personnes mais peut relever de l’impôt sur les sociétés sur option (article 239, 1 du CGI).
En outre, cela permet de choisir son mode de rémunération (rémunération technique ou dividendes) et ainsi d’optimiser le coût en matière d’imposition mais aussi de lisser ses charges sociales.
Il existe plusieurs formes de sociétés d’exercice libéral. Les deux principales sont la société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) et la société d’exercice libéral par actions simplifiée (SELAS). Il n’y a plus vraiment de différence entre la SELARL et la SELAS depuis la modification de la fiscalité des rémunérations dans les SEL.
En effet, précédemment, la SELARL se caractérisait par la taxation relativement faible sur la rémunération du gérant. Celle-ci était imposée dans la catégorie des traitements et salaires et bénéficiait d’une déduction forfaitaire de 10%. Toutefois, nous le verrons plus loin la proportion de part de rémunération du gérant est désormais limitée par rapport à la rémunération technique, imposable dans la catégorie des BNC.
La SELAS, quant à elle, se distingue par la souplesse des statuts laissant ainsi une importante marge de manœuvre pour ses associés. Il est également plus facile d’intégrer des associés en SELAS ou de s’inscrire dans des opérations de restructurations. Elle marque aussi un esprit plus moderne et plus dynamique que la SELARL.
2. Le régime fiscal et social des rémunérations en SEL
Plusieurs types de rémunérations peuvent être versées aux associés et dirigeants de la SEL
· Les rémunérations techniques (le grand changement à compter de 2025)
Les rémunérations perçues par les associés non-dirigeants ou les associés dirigeants au titre de l’exercice de leur activité libérale (ou rémunérations techniques) sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) à compter de la déclaration 2025 des revenus perçus en 2024 et non plus dans celle des traitements et salaires à moins qu’il existe un lien de subordination.
Pour les associés gérants, cela vaut seulement si ces sommes peuvent être distinguées de celles perçues au titre de leurs fonctions de gérant (article 92, 1 du CGI ; BOI-RSA-GER-10-30 n° 520).
Les rémunérations techniques sont soumises à cotisations sociales. Celles-ci incluent les cotisations URSSAF (maladie-maternité, prestations familiales), les cotisations retraite, la cotisation sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).
· Les rémunérations de dirigeants
En revanche, l’imposition des rémunérations perçues par les dirigeants au titre de leurs fonctions de direction est à distinguer selon plusieurs critères. En effet, le président d’une SELAS ou le gérant minoritaire/égalitaire d’une SELARL est imposé dans la catégorie des traitements et salaires (article 80 ter du CGI) tandis que le gérant majoritaire d’une SELARL est imposé conformément aux dispositions de l’article 62 du CGI (BOI-RSA-GER-10-30 n° 500).
Concernant l’aspect social, le président d’une SELAS ou le gérant minoritaire/égalitaire d’une SELARL cotise au titre du régime des assimilés salariés. Ils sont soumis aux cotisations du régime général, y compris la CSG et la CRDS. Le gérant majoritaire d’une SELARL cotise quant à lui au titre du régime des travailleurs non-salariés.
· Les rémunérations par dividendes
Lorsque que la SEL réalise un bénéfice en fin d’exercice, les associés sont susceptibles de percevoir des dividendes. Ces dividendes constituent fiscalement des revenus de capitaux mobiliers (RCM) et sont imposés à la flat tax ou prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% comprenant 12,8% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux, sous réserve des différences ci-après en matière sociale. Toutefois, les associés peuvent opter pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu.
D’un point de vue social, qu’on soit en SELARL ou SELAS, les dividendes perçus par les associés, leur conjoint, leur partenaire avec qui ils sont liés par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs, sont soumis aux cotisations sociales pour la fraction supérieure à 10% du capital social, des primes d’émissions et sommes versées en compte courant (article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale).
En résumé, si les dividendes sont inférieurs à ce ratio de 10%, ils sont soumis à la flat tax de 30% comprenant 12,8% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux. En revanche, s’ils sont supérieurs à ce ratio de 10%, les dividendes sont également soumis à la flat tax avec les 12,8% d’impôt sur le revenu mais les 17,2% de prélèvements sociaux sont alors remplacés par les cotisations sociales professionnelles (article 131-6 du Code de la sécurité sociale).
De prime abord, la distribution de dividendes parait avantageuse tant du point de vue du régime fiscal que du régime social. Toutefois, il est nécessaire de nuancer ces propos en raison du fait que les bénéfices sont soumis à l’impôt sur les sociétés avant leur distribution. Dès lors, il y a en réalité une double imposition des résultats, d’abord au niveau de la société avec l’impôt sur les sociétés au taux de 15% ou de 25%, ensuite au niveau des associés à la flat tax ou au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
3. Comment créer sa SEL ?
· Transmission du fonds libéral
Plusieurs mécanismes permettent de transmettre le fonds libéral à la société d’exercice libéral. Nous allons les envisager successivement.
A titre liminaire, la transformation d’une entreprise individuelle en société entraîne l’imposition immédiate des plus-values constatées à l’occasion de la réalisation de l’opération puisque la transmission entraîne, en principe, les conséquences d’une cessation d’activité.
1- En cas d’apport
En cas d’apport du fonds libéral, il est possible de bénéficier d’un report de taxation. En effet, le report s’applique pour les plus-values dégagées sur des biens non amortissables jusqu’à la date de cession à titre onéreux, du rachat ou de l’annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l’apport ou jusqu’à la cession des immobilisations par la société si elle est antérieure. Cette règle s’applique que la plus-value soit à court ou à long terme (article 151 octies du CGI).
Par ailleurs, le fonds libéral, dans les cas d’apport à une société, est bien souvent non amortissable. Il existe une possibilité temporaire d’amortir le fonds libéral dès lors qu’il a été acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025 mais lorsque le fonds est acquis auprès d’une entreprise liée ou contrôlée par la même personne ou lorsqu’il est transmis dans le cadre d’un apport en société d’une exploitation individuelle si l’apporteur contrôle la société bénéficiaire, il ne sera pas possible de l’amortir (article 39 du CGI).
Il est donc possible de bénéficier du régime de report d’imposition. De plus, les apports purs et simples (c’est-à-dire en contrepartie de droits sociaux) sont exonérés de droits d’enregistrement s’ils sont réalisés au profit d’une société passible à l’impôt sur les sociétés (ce qui est le cas d’une SEL) sous réserve de s’engager à conserver les titres remis en contrepartie de l’apport pendant une durée de 3 ans (article 809 du CGI).
2- En cas de cession
En cas de cession du fonds libéral à une société d’exercice libéral, il y a en principe une imposition de plus-value. Toutefois il existe deux régimes d’exonération.
D’abord, il existe un mécanisme d’exonération totale en fonction de la valeur des éléments cédés. En effet, lorsque le prix du fonds transmis est inférieur à 500 000 €, il y a une exonération totale de plus-value. Toutefois, les conditions sont strictes et empêchent souvent de bénéficier de cette exonération puisque le cédant ne doit pas exercer un pouvoir de direction effective ou être détenteur directement ou indirectement de plus de 50% des droits de vote ou de droits dans les bénéfices sociaux de l’entreprise bénéficiaire, l’activité doit avoir été exercée pendant au moins 5 ans par le cédant et ce dernier doit être soumis à l’impôt sur le revenu (article 238 quindecies du CGI).
En outre, une exonération totale de la plus-value est possible pour les entreprises ayant une activité libérale soumise à l’impôt sur le revenu dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 90 000 € pour les prestations de services (pour les avocats ou les médecins par exemple). En revanche, l’exonération ne sera que partielle si les recettes de l’entreprise sont supérieures à 90 000 € et inférieures à 126 000 € (article 151 septies du CGI).
Enfin, en cas de cession, des droits d’enregistrement d’un montant de 3% du prix de cession doit être acquitté si le prix de cession est inférieur à 200 000 € et de 5% si le prix de cession est supérieur à 200 000 € (article 719 du CGI).
3- Par commodat
Le commodat est un contrat par lequel le prêteur met gratuitement une chose à la disposition de l’emprunteur (article 1875 du Code civil). Dans le cadre de la transmission d’un fonds libéral, le commodat permet au professionnel libéral de prêter son fonds à une société pour une exploitation temporaire ou dans le cadre d’une transition vers une cession définitive tout en conservant la propriété de son fonds.
Le commodat présente également des avantages fiscaux puisque la conclusion d’un commodat n’entraîne pas les conséquences fiscales d’une cessation d’activité et n’emporte pas un transfert de propriété donc n’entraîne pas l’imposition des plus-values latentes ou en report ni même des bénéfices non encore taxés (CE 7e et 8e s.-s. 11-5-1984 n° 37522 : RJF 7/84 n° 825).
4- Par location-gérance
La location-gérance est un contrat par lequel le propriétaire d’un fonds en confie l’exploitation à une autre personne en échange du paiement d’une redevance.
Sur le plan fiscal, la location-gérance n’entraîne pas les conséquences d’une cessation d’activité du loueur. La location-gérance n’a donc pas pour conséquence la taxation des plus-values latentes ou en report d’imposition.
Quant aux redevances perçues par le bailleur, celles-ci sont imposées dans la catégorie des bénéfices non-commerciaux et sont soumises à cotisations sociales si le loueur du fonds exercice une activité professionnelle dans l’entreprise locataire.
Par ailleurs, la convention de location-gérance n’a pas à faire l’objet d’un enregistrement.
Dans l’hypothèse d’une cession ultérieure du fonds libéral, il serait possible de bénéficier des régimes de faveur exposés au 2- pour obtenir une exonération totale ou partielle d’imposition sur la plus-value (articles 238 quindecies et 151 septies du CGI).
· Mise en œuvre juridique
Pour créer une société d’exercice libéral plusieurs formalités doivent être accomplies.
D’abord, il est nécessaire de procéder à toutes les formalités inhérentes à la création de société. Il faut donc rédiger les statuts en respectant les mentions obligatoires et, en cas de transmission du fonds libéral à la SEL, rédiger le contrat d’apport, de cession, de commodat ou de location-gérance selon le mode de transmission choisi.
Avant l’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés, il faut obtenir l’agrément de l’autorité compétente ou s’être inscrit sur la liste ou le tableau de l’ordre professionnel (par exemple l’Ordre des médecins ou des avocats).
Les modalités d’inscription varient selon la profession concernée. Il est donc nécessaire de se renseigner auprès de l’Ordre en question. Une fois ces formalités accomplies, il faut immatriculer la société au registre du commerce et des sociétés (RCS) pour qu’elle bénéficie de la personnalité juridique (article 1842 du Code civil et article L. 210-6 du Code de commerce).
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Notre cabinet peut vous accompagner dans l’ensemble des diligences à accomplir si vous envisagez le passage de votre entreprise individuelle en société d’exercice libéral, et ce quelque soit votre profession libérale réglementée.
Eve d’Onorio di Méo
Avocat spécialiste en Droit Fiscal
ed@donorio.com - Tel : +33(4) 91 15 72 62

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