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La condamnation européenne du régime français du prélèvement forfaitaire libératoire

Tout d’abord, il est important de rappeler ce qu’est précisément le prélèvement forfaitaire libératoire. Il s’agit d’une imposition appliquée, souvent par voie de retenue à la source, à titre obligatoire ou facultatif et, dans ce dernier cas de plein droit ou sur option, à certaines catégories de revenus, en tant que substitut de l’imposition générale. Le système de la retenue à la source est une technique de recouvrement de l’impôt par laquelle le débiteur d’un revenu ou son mandataire (établissement payeur), déclaré redevable de l’impôt du par le bénéficiaire de ce revenu (le contribuable), est chargé de prélever et de verser au Trésor ledit impôt au moment même du versement dudit revenu. Ce procédé de prélèvement à la source, qui a pou effet de rendre l’assiette, la liquidation et le recouvrement de l’impôt quasi-simultanés, n’a jamais réussi à s’imposer sur une grande échelle en France, alors qu’il est couramment pratiqué dans de nombreux pays européens comme la Grande Bretagne et l’Allemagne. Ce mode d’imposition est obligatoire ou facultatif selon les revenus. Les produits concernés sont les produits de placements à revenu fixe, c’est à dire des obligations, créances, dépôts, cautionnements, et comptes courants, mais aussi les contrats de capitalisation comme les contrats d’assurance vie. Son taux dépend de la nature des revenus ou de la durée pour les contrats de capitalisation, et peut varier de 7,5% à 60%. Les produits ayant régulièrement supportés le prélèvement sont libérés de l’impôt sur le revenu : c’est une excellente mesure de simplification et de commodité, mais elle peut être aussi très favorable et incitative. Le problème est que le dispositif français, aux articles 125-0 A et 125 A du Code général des impôts, exclue de manière absolue l’application du taux du prélèvement libératoire aux revenus découlant de placements et de contrats dont le débiteur n’est pas domicilié ou établi en France.

Par une lettre de mise en demeure du 30 octobre 2000, la Commission a informé le gouvernement français qu’elle considérait que la réglementation en cause pourrait enfreindre les dispositions du traité CE relative à la libre prestation de services et la libre circulation de capitaux. Le gouvernement français a répondu qu’il considérait que la réglementation en cause était justifiée, et qu’il était ouvert à une éventuelle évolution de sa législation, sous réserve de la mise en place d’un représentant fiscal. La France n’ayant pas convaincu la Commission, cette dernière l’a invitée à se conformer au droit communautaire dans les plus brefs délais. Le gouvernement français étant restée inactif, c’est par une requête déposée au greffe de la Cour le 20 septembre 2002, que la Commission des Communautés européennes a introduit un recours, en vertu de l’article 226 CE, visant à faire constater que la République française, du fait du maintien de ce dispositif discriminatoire excluant l’application d’une mesure favorable au contribuable dès lors que le débiteur n’est pas établi en France, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 56 CE du Traité.

La première de ces libertés, la liberté de prestation de services, proclamée à l’article 49 CE, exige l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire, que ce soit en raison de sa nationalité ou en raison de la circonstance qu’il est établi dans un Etat membre autre que celui où la prestation est fournie. Est en principe contraire à cette liberté, toute mesure fiscale susceptible de décourager les opérateurs économiques établis dans un autre Etat membre ou de dissuader des ressortissants nationaux de recourir aux services fournis par ces opérateurs. La seconde de ces libertés, la libre circulation des capitaux, consacrée à l’article 56 CE, s’oppose à ce que les Etats membres adoptent des mesures qui dissuadent leurs résidents de réaliser des investissements sur le territoire d’autres Etats membres, et elle interdit, par conséquent les dispositions fiscales qui produisent un tel effet.

La Cour a décidé de faire droit au recours de la Commission, et de constater que, par ce dispositif, la République française a manqué aux obligations lui incombant en vertu des libertés de circulation communautaires que sont la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux[1]. Il est important de constater que la Cour ne manque pas de rappeler, à titre préliminaire, que, selon une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire, et par conséquent s’abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité[2]. La Cour, dans ce point préliminaire, tente, une fois de plus de démontrer que les libertés communautaires de circulation ont une valeur fondamentale qu’aucun Etat membre ne peut se permettre, au nom du principe de souveraineté fiscale, d’entraver. Elle s’est efforcée de qualifier une différence de traitement (I) non susceptible d’être justifiée par des considérations d’intérêt général (II).

I/ Une différence de traitement indiscutable

La Cour constate que la réglementation en cause constitue une restriction, à la fois, à la libre prestation de services en vertu de l’article 49 CE, et à la libre circulation des capitaux en vertu de l’article 56 CE. Il est intéressant de relever que la Cour préfère parler de « restriction » ou d’ « effet restrictif » plutôt que d’entrave, peut être a-t-elle voulu atténuer sa position et éviter de trop vives critiques. Comme l’avait justement relevé l’Avocat général, M. D. RUIZ- JARABO COLOMER, la différence de traitement fiscal est réelle : le droit d’option n’existe que lorsque les assujettis à l’impôt et les personnes tenues au paiement des revenus financiers sont domiciliées ou établies en France ; pour le reste il n’existe pas d’alternative[3] et les assujetties n’ont pas d’autres choix que de soumettre ces revenus mobiliers « étrangers » à une imposition générale sur le revenu.

Sur l’attractivité des taux, le gouvernement français a tenté de minimiser l’inégalité en faisant valoir que le barème de l’impôt est quelque fois plus avantageux, ou sinon identique, pour le contribuable que le taux du prélèvement. En effet, elle soutien que le taux moyen d’imposition des contribuables seraient de 9%, que la grande majorité d’entre eux auraient donc un taux d’imposition inférieure ou égal à 15%, et que le taux marginal moyen s’établirait à environ 25%. En revanche, le taux d’imposition bas du prélèvement libératoire ne concernerait que des contrats d’assurance vie d’une durée de plus de huit ans. Pour le reste, les taux applicables seraient de 15% ou 35% au mieux et se rapprocheraient donc du taux marginal moyen du barème de l’impôt sur le revenu. Or, la France a oublié que, pour les revenus très élevés des assujettis fortunés, les taux des prélèvements libératoires pouvaient être nettement inférieur à des taux marginal d’imposition sur le revenu avoisinant les 45%.

Il est reconnu par les analystes fiscaux, d’une façon générale, que le prélèvement libératoire est favorable aux contribuables, dans la mesure où à défaut d’option, les revenus soumis à l’impôt sont susceptibles d’être frappés au titre de l’impôt sur le revenu à un taux effectivement supérieur à celui du prélèvement.

La Cour[4], sur ce point, a relevé qu’il est constant que le prélèvement libératoire entraîne, dans certaines situations, un avantage fiscal non négligeable par rapport à l’imposition normale sur le revenu. D’une part, un tel avantage ne peut être affecté par le fait que, dans d’autres situations, l’avantage pour le contribuable est relativement mineur. D’autre part, le prélèvement libératoire ne s’appliquant que sur option du contribuable lui-même, cette option sera exercée que si elle lui sera favorable et le fait de le priver de cette option est discriminatoire.

Sur le moment du règlement de l’impôt et ses effets sur la trésorerie, la France tente aussi de relativiser la différence de traitement fiscal en considérant que le laps de temps pris par la liquidation dans l’un et dans l’autre cas rend le paiement de l’impôt plus attrayant que l’option pour le prélèvement. Le prélèvement libératoire présenterait, selon elle, l’inconvénient d’être opéré à la source, soit d’être payable immédiatement, alors que l’impôt sur le revenu ne devrait être acquitté qu’au mois de septembre de l’année suivant celle de la perception du revenu. Ainsi le délai de paiement supplémentaire pourrait atteindre 20 mois et ceci favoriserait considérablement la gestion de la trésorerie du contribuable.

L’Avocat général avance que même si, en terme de trésorerie, il vaut mieux pour le contribuable être soumis à l’impôt sur le revenu que de payer le prélèvement libératoire, l’obstacle à la libre circulation des capitaux et à la libre prestation des services ne disparaît pas pour autant puisque l’avantage ainsi réalisé ne saurait justifier un traitement fiscal contraire à une liberté fondamentale. L’Avocat général considère, enfin, que ce raisonnement est manifestement dépourvu de fondement et ne fait pas l’objet du débat en l’espèce, puisque il s’agit de vérifier si l’impossibilité d’opter pour le prélèvement forfaitaire libératoire est constitutive d’une différence de traitement, ce qui semble ne faire aucun doute.

La Cour[5] qualifie la mesure française de restrictive et justifie sa position par un raisonnement en deux temps : le système établi constitue une restriction parce qu’il dissuade les résidents fiscaux en France d’investir leur épargne dans les produits financiers offerts par des organismes étrangers, et parce qu’il fait obstacle à ce que ces derniers offrent leurs produits sur le territoire français, en raison du fait que les revenus desdits produits font l’objet d’un traitement fiscal moins favorable que celui des produits distribués par les concurrents établis ou domiciliés en France. Il s’agit d’inciter les épargnants à investir dans des valeurs françaises plutôt qu’étrangères. La Cour, une fois la restriction qualifiée, a tenté de vérifier si de telles restrictions étaient justifiées.

II/ Une différence de traitement injustifiable

La Cour rappelle qu’une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscale ne saurait suffire à justifier une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs du Traité. L’Avocat général a estimé que cet objectif d’intérêt général n’est pas un chèque en blanc accordé aux Etats membres pour rogner les libertés.

Comme toute exception à un principe cardinal de l’ordre communautaire, il doit être interprété restrictivement et être appliqué dans le respect des exigences du principe de proportionnalité[6]. Le principe de proportionnalité implique que la mesure restrictive doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

S’agissant des difficultés dans la gestion de l’impôt, le gouvernement français a soulevé que le fait que le débiteur du revenu soit établi hors de France rende peu aisé le paiement de l’impôt et l’efficacité des contrôles. En effet, selon lui, dans le cadre du dispositif actuel du prélèvement libératoire, l’exercice du contrôle fiscal par l’Administration s’effectuerait aisément auprès des débiteurs ou de leurs établissements payeurs résidents qui sont directement redevables de l’impôt et sujets à contrôle en lieu et place des contribuables. A l’inverse, lorsque le débiteur des produits financiers a son siège hors de France, l’Administration fiscale serait cependant dépourvue de moyens effectifs pour contrôler le respect des conditions d’application du prélèvement forfaitaire libératoire, notamment concernant les taux. Cette difficulté serait d’autant plus importante lorsque la société est établie dans un état pratiquant le secret bancaire ou limitant la portée des procédures d’échanges d’informations. Le gouvernement français envisage péniblement un contrôle auprès de l’investisseur, et non auprès du débiteur, car elle considère que cela supposerait l’abandon d’un système simple et efficace fondée sur un contrôle ex-ante, effectué avant l’application du prélèvement à la source, au profit d’un contrôle ex-post non systématique et risqué lié à la difficulté de réunir les recoupements des éléments nécessaires.

Mais l’impôt libératoire n’implique pas nécessairement une retenue à la source et rien ne s’oppose à des modalités de recouvrement plus simple, comme la déclaration volontaire et spontanée, qui permettent d’appliquer le prélèvement libératoire à des revenus financiers payés par des entités étrangères[7]. Dans cette affaire, il est clairement établi que l’objectif poursuivi pouvait être atteint par d’autres moyens et que le principe de proportionnalité exclut que de simples difficultés administratives puissent être érigées en raisons absolues justifiant un traitement discriminatoire qui, dans la mesure où il est contraire aux libertés précitées, ne peut être légitimé que par des arguments particulièrement solides. Seule, aux fins de l’application générale du prélèvement libératoire, la possibilité de déclaration volontaire annuelle des revenus financiers obtenus de sociétés établies dans d’autres Etats membres pourrait, selon la Cour, répondre parfaitement aux besoins du contrôle et ne constituerait pas une atteinte à l’équilibre du système fiscal en cause. En l’état actuel des choses, l’Avocat général a conclu que, quelles que soient les raisons ou les objectifs de ce dispositif, le résultat est de rendre plus attractif pour le contribuable français le placement de son épargne en produits financiers offerts par des sociétés établies en France.

S’agissant des obstacles que le gouvernement français a dénoncés à l’encontre des possibilités qu’offre la directive 77/799/CEE[8], c'est-à-dire du manque d’efficacité de celle-ci à produire des effets dans les Etats membres qui pratiquent le secret bancaire, la Cour tient à souligner que l’impossibilité de demander une telle collaboration ne saurait justifier la non application d’un avantage fiscal aux revenus obtenus dans ces Etats.

La Cour, se référant aux conclusions de l’Avocat général, rappelle les possibilités qu’offre cette directive qui peut être invoquée par les autorités d’un Etat membre afin d’obtenir d’un autre pays communautaire toutes les informations nécessaires pour déterminer et calculer, conformément à la législation applicable, l’impôt sur le revenu dû par un contribuable. Comme le soulève l’Avocat général, l’argument du secret bancaire est dépourvue de pertinence pour deux raisons. Premièrement, l’existence d’informations non communicables est déjà prévue dans les normes communautaires et la Cour a même reconnu que ces dernières pouvaient être un instrument au service d’un contrôle fiscal efficace[9]. Deuxièmement, même si dans certaines situations, les informations ne peuvent être vérifiées, cela ne saurait justifier que certains contribuables, percevant des revenus financiers auprès d’entités établies hors de France, restent en marge du système d’option. Il s’agit, une fois de plus, d’une conséquence disproportionnée par rapport à l’objectif de la norme.

La différence de traitement n’est donc pas justifiable par un quelconque intérêt général.

Conclusion

Le gouvernement français n’étant pas parvenu à établir une justification de la mesure en cause, la Cour a décidé qu’il y a lieu de faire droit au recours de la Commission et de constater que, en excluant de manière absolue l’application du taux du prélèvement libératoire aux revenus découlant de placements et de contrats visés aux articles 125-0A et 125 A du Code général des impôts, dont le débiteur n’est pas domicilié ou établi en France, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 56 CE. On peut s’interroger, dans cette affaire, de la nécessité de ce dispositif à permettre de contrôler la fuite des capitaux. En effet, le gouvernement français n’a, à aucun moment, proposé, ou même sous-entendu, pour sa défense, les nécessités de préserver le système fiscal français et de prévenir l’évasion fiscale. Il est clair, pourtant, comme le rappelle l’Avocat général dans ses conclusions rendues sous cette affaire, que la mesure française incite les contribuables à investir dans des sociétés financières établies en France et les décourage dans les situations contraires. On peut penser que la France n’a pas osé soumettre ce moyen bien qu’il soit le principe directeur de cette mesure discriminatoire.

Jusqu'à cette décision, seules les obligations françaises pouvaient faire l'objet d'un prélèvement libératoire. Leur détenteur supportait une taxation de proportionnel et non progressive sur les revenus de ses titres, alors que les coupons des obligations étrangères étaient passibles de l'impôt sur le revenu. Aux yeux de la CJCE, ce régime est discriminatoire. Tout comme, celui qui réservait aux seuls des contrats d'assurance-vie émis par les compagnies françaises, le bénéfice du prélèvement libératoire sur les gains. Par conséquent, les clients fortunés pourront désormais souscrire des contrats dédiés conçus par des compagnies d'assurances européennes et notamment luxembourgeoises, sans être pénalisés sur le plan fiscal. La France a, certes, été condamné par la Cour de justice des Communautés européennes mais la question reste de savoir si elle va réellement modifier son dispositif en élargissant les possibilités d’option au prélèvement libératoire aux contribuables disposant de placements dans des entités établies à l’étranger, ou va-t-elle seulement soumettre cette option à des conditions contraignantes pour le contribuable.

[1] CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française, point 34.

[2] Voir notamment, pour les décisions les plus récentes : CJCE, 13 novembre 2003, aff. C-209/01, Schilling et Fleck Schilling ; CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de LASTEYRIE DU SAILLANT c/ Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.

[3] Conclusions de l’Avocat général RUIZ-JARABO COLOMER, 16 octobre 2003, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française.

[4] CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, précit., point 22.

[5] CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, précit., point 25.

[6] CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98, Commission c/ Belgique.

[7] CJCE, 30 mai 2002, aff. C-516/99, Schmid, conclusions de l’Avocat général TIZZANO.

[8] Directive 77/799/CEE du Conseil, 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs, JO L336 p.15.

[9] CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission c/ Belgique.

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